Yoann Conte marche sur les pas de l’homme au chapeau, il cueille les plantes sauvages des montagnes, revisite les paysans du coin… Il propose aujourd’hui un travail autour de la Féra.
Week-end plannifié de longue date avec l’ami Sborgnanera, réservation effectuée chez Yoann conte, ancien de Marc Veyrat qui à repris il y a tout juste un an l’un des temples de la gastronomie française que le “savoyard”, comme le surnomme affectueusement Paul Bocuse, avait décidé de transformer en appartements avant que Yoann ne reprenne l’affaire.
Yoann a eu dès la première année une étoile et 3 toques et, loin d’être satisfait, est en train de mettre les bouchées doubles pour à la fois stabiliser son équipe et ses process de fabrication. Son but : profiter de chaque avancée pour se remettre dans la créativité et l’évolution de sa cuisine.
Je laisse l’analyse de ce repas à Sborgnanera qui a bien voulu se remettre dans la peau d’un ancien inspecteur du Gault & Millau.
Mise en bouche :
j’aime bien le travail sur le mais, puis ensuite sur les petit pois avec la truffe d’été, joli départ bien coloré et bien assaisoné
1er plat : l’oeuf
comme marc veyrat est venu nous saluer (comme toutes les tables du restaurant), on n’a pas pu déguster ce plat avant son départ et on a perdu le petit croustillant et la texture de l’oeuf donc impossible de donner son avis
2eme plat : les raviolis
Waouh ! ca démarre super fort sur un jeu de texture, des associations qui deviennent évidentes comme cette betterave avec la framboise ou cette carotte avec un soupçon de poireau et de fenouil, génial en dosage et en intelligence
3eme plat : 1er service du foie gras
La réduction composée de clous de girofle et de cannelle est superbe, idem pour les petits point d’orange et d’origan, par contre cette réduction me parait un peu puissante pour un accord évident avec le foie gras mais cela vient sûrement du fait que Yoann a divisé la portion par deux car il a voulu nous faire gouter d’autres plats, donc pour que la magie fonctionne, il faut probablement plus de foie
4ème plat : 2ème service du foie gras
On sent bien la consistance dense du foie chaud, absolument pas écoeurant et bien mis en valeur avec la fraise : la rhubarbe passée au gastrovac garde tout son croquant et la pointe d’Oxalys acidulée relève bien l’ensemble
C’est un superbe sucré salé légèrement acidifié
5ème plat : huitre, pied de veau, betterave, caviar
Hummm que j’aime ça ! l’huître fonctionne a merveille avec ces mini cubes de pied de veau fondus et légèrement relevés avec des petites pointes ça et là d’une brunoise d’échalotes confites au vinaigre : même si l’expression est complètement galvaudée aujourd’hui, ça c’est un plat gourmand ou on plonge sa fourchette sans réfléchir, ou les éclats d’échalote agissent comme de mini électrochocs érectiles et ce contraste chaud froid avec la glace de betterave amène une attention encore plus soutenue à ce plat.
Par contre, même si je comprends l’idée de l’association terreuse entre le caviar d’aquitaine et la betterave, ca devient un poil trop intellectuel avec toutes ces couches, cette manière de manger le plat avec un ordre bien précis, et franchement, quelques grains posés directement sur la glace me sembleraient plus appropriés
6ème plat : anchois et fera fumé
Pour moi, c’est un plat graphique, un plat qui ferait vibrer n’importe quel lecteur de Thuries magasine mais pour moi, il ne se passe rien, tout est éclaté, les associations trop complexes a chercher et pas vraiment évidentes comme celle autour du piquillos
7ème plat : homard
Ô cette claque dans la tronche ! ce jus de sarriette est à tomber et l’alliance avec ce homard légèrement fumé aux écorces de sapin est juste magique, les 3 saveurs donnent beaucoup de longueur en bouche avec une attaque sur la sarriette qui laisse doucement la place à une alliance du fumé et du homard bleu breton, é-nor-me !
8 ème plat : langoustine
Alors que l’on récupère à peine du choc du homard qui nous laisse sans voix, Yoann conte décide de doubler son uppercut avec cette très grosse langoustine qui doit peser autour de 300 grammes, dont la cuisson est divine et l’assaisonnement avec une ultra mini brunoise de petits légumes croquants acidulés vient bien relever l’ensemble sans jamais prendre le dessus, franchement j’adore et là, on se dit que cette table n’en est qu’à ses débuts sans sa conquête des toques et des étoiles. Plat de très très grande classe.
9 ème plat : truite saumonée
Le jus de verveine est bien dosé, la truite fond grâce à une cuisson d’un autre monde : on est comme dans son lit sous la couette, rassuré par cette texture douce et cette mise en avant de la verveine un peu citronée
10 ème plat : fera
La féra a peu de goût, par contre, c’est d’une texture intéressante surtout quand on met du croquant autour comme cette pomme granny smith ou cette petite salade. Ici, ce qui est intéressant, c’est le trait de cette purée de céleri ou la vanille est très bien dosée, superbe alliance
11 ème plat : bouillabaisse du lac
J’ai beaucoup aimé ces petits poissons de lac que l’on ne connait jamais tous comme la lotte du léman ou la roussette : très beau jus, par contre, je comprends bien les petits cubes d’abondance et pour le coup, ça ne fond pas et c’est pas forcement nécessaire, à mon avis
12 ème plat : la timbale
Voila quasiment le seul plat ou yoann conte fait parler les muscles : c’est un plat inspiré du MOF qui permet de mettre en avant son savoir faire technique immense et de garder concentré son équipe qui lui demande toujours d’aller plus haut.
Bien sûr j’aime bien les écrevisses, le petit croquant amené par ces amandes torréfiées mais surtout, j’aime cette construction technique, cet esprit d’équipe qui transparaît dans ce plat
13 ème plat : rouget
C’était un des plats phare de ce début d’année mais là, il faut bien l’avouer, c’est la fin de la saison des chipirons, et surtout yoann a pris une telle dimension avec sa nouvelle carte que ce plat apparait déjà obsolète même si tout est bon dans l’assiette.
14 ème plat : polenta
Jolie polenta qui met en avant la truffe d’été : à mon avis, l’idée qui consiste à faire une sorte de pause entre les poissons et les viandes n’est pas forcement évidente compte tenu du nombre très important de plats
Par exemple, dans le menu à 121, j’aurai remplacé l’anchois par cette polenta que j’aurai placé entre le dernier poisson, la féra, et le première viande, le ris de veau
15 ème plat : canard
Le cannelloni est fondant grâce à l’ajout d’un peu de pied de porc dans la farce qui contient du canard confit génial en gout, très très beau plat
16 ème plat : ris de veau
Y’a eu débat autour de la table mais là, pour moi, on monte d’un cran : tout est épuré, pas d’espuma, juste une purée divine de petit pois et de génépi avec un coté graphique très à propos du lard d’arnad et du ris de veau croustillant
Il n’y a aucune crème, aucun impressionne de lourdeur, un petit coté musical avec ces différents croustillants, ces différentes textures, bref, vraiment top
17 ème plat : le lapin
Le râble est juteux et goutu, les petites côtelettes ne demandent qu’à être prises avec les doigts pour qu’il ne reste plus un seul millimètre de chair
La mélisse apporte une pointe réglissée, la réduction au citron confit est une évidence : putain que ce mec sait faire des sauces denses en gout !
18 ème plat : boeuf wagyu
Yoann nous propose ce plat en avant première : il est en train de le tester et est en plein réglage.
J’aime bien l’idée de saisonnalité dans la viande et surtout l’utilisation de morceaux pas forcement mis en avant dans la restauration comme ce morceau qui ne sort ni de l’entrecôte ni du filet : je trouve le jus réduit aux échalotes bien trop puissant pour que la viande garde un interet
Pêche pochée verveine, glace melisse muscade
Chamonix Mont Blanc Melba, et sa glace rhubarbe du jardin
Bilan :
C’est une très très grosse table avec un énorme potentiel, d’abord parce que Yoann conte a une démarche très ouverte, sûr de rien et comprenant les messages, étant persuadé d’être encore loin de son idée de ce que sera sa cuisine.
Il fonctionne par étape, comme un sportif qui se fixerait des challenges régulièrement : des challenges à court terme comme sur la création d’un plat, un objectif d’équipe autour d’un repas ou d’une prestation, et des objectifs à moyen terme comme une meilleure gestion de son équipe, de son équilibre personnel qui va bien évidement influer sur ses futures cartes.
On le sent bien à travers sa cuisine : c’est là qu’il exprime le mieux sa philosophie de vie, son respect de la terre et de ce qu’elle nous donne. Pourquoi ne pas mettre en avant les petits poissons du lac alors que la cohorte de russes suisses lui demande des turbots épais comme le bras ? Tout simplement parce qu’un jour, ce type de turbot n’existera plus et que sa cuisine n’a pas a cautionner se genre de comportement, et s’il le faisait, il se renierait et sa cuisine s’en ressentirait.
C’est un grand affectif je vous dis ! rien qu’à voir le calme de ses équipes pendant le coup de feu, son envie poignante de mettre en avant la montagne et toutes ces plantes qui le ressourcent, on voit tout de suite celui qui mène les troupes par l’exemple du travail bien fait, par l’exigence extrême qu’il s’impose et que forcement il demande en retour à chacune des personnes qui travaille dans l’établissement.
Cette maison est en plus pétrie d’une histoire ou flotte une âme qu’à longtemps symbolisé l’homme au chapeau qui se met en retrait derrière celui qu’il décrit comme un gars qui était exactement comme lui au même âge, un passionné qui donne tout.
La cuisine de yoann conte me fait penser aux débuts de jean sulpice ou de christophe aribert, une cuisine à la fois très belle et simple dans le visuel, ramassée, et méchamment goutue, intelligente dans les associations et, en la décortiquant de près, hyper technique et bourrée de travail.
Le homard et la langoustine sont les plats d’un autre monde qu’à l’époque ou j’étais au gault j’aurai notés 19/20 sans problème : il faut absolument faire cette table, pas simplement parce que c’est bon et que l’endroit est magique, mais parce que vous aurez l’impression de voir naitre devant vos yeux un immense cuisinier.
Marc Veyrat revient sur la nouvelle génération de chefs qui sont entrains de gravir les sommets. Il en rêvait, ses enfants l’ont fait !
Jean Sulpice
Il fait ses armes chez Marc Veyrat pendant 5 ans, où il a commencé comme commis et fini comme second.A l’image de Marc Veyrat, Jean s’inspire beaucoup de la nature et des produits de sa région.
Emmanuel Renaut
Formé au Crillon, il seconde Marc Veyrat à l’Auberge de l’Eridan durant 7 ans. Puis direction Londres au Claridge’s comme chef de cuisine pendant un an. Il ouvre en 1998 son restaurant ”les Flocons de sel” à Megève, dont la cuisine célèbre les saveurs et honore les produits régionaux. La cuisine d’Emmanuel Renaut est à son image : gourmande, colorée, surprenante. Avec une carte joliment garnie de clins d’oeil à la région, Emmanuel Renaut vous propose des plats inattendus et crée des modulations de saveurs nouvelles à l’harmonie solidement maîtrisée. Depuis décembre 2008 il se rapproche des sommets, en ouvrant un hôtel comprenant 8 chambres, un spa, une piscine et un projet pour l’été 2009. Cette nouvelle adresse a su rester fidèle aux codes « déco sans chichis » du cuisinier, une maison fidèle a son image.
Edouard Loubet
Coiffé de son chapeau noir, il a des allures de Marc Veyrat. Édouard Loubet est savoyard et a longtemps travaillé auprès du maître. Puis il s’est installé sur les hauteurs du Luberon pour écrire une histoire aux senteurs de Provence.
David Toutain
Il est passé par l’ Arpege, Marc Veyrat, Ambroisie, Pierre Gagnaire, Mugaritz et Nobu.
Alain Passard, lui inculque l’amour des légumes, le respect des saisons et la maîtrise des cuissons. Il apprend auprès de Marc Veyrat de nouvelles idées, de nouvelles techniques et la continuité de la nature. Andoni Luis Anduriz lui fusionne ces deux philosophies. David ouvrira l’Agapé Substance à la fin du mois de Juin.
Yoann Conte :
il passe par plusieurs grandes maisons (Marc Veyrat,Didier Oudil, Laurent Petit, Pierre Carrier, Thierry Marx) avant de devenir le chef de la table du Mont Blanc à Chamonix. Installé depuis Mai 2010 dans les cuisines de l’Eridan, il se devait de marcher dans l’ombre de l’homme au chapeau, tout en imposant son style et en remettant au goût du jour quelques grands classiques de Marc Veyrat (ses raviolis,ses petits pots, le suivi au niveau des herbes). Il y a comme une pointe de Veyrat a ses débuts mais surtout il y a l’essentiel c’est a dire le produit.