Propos de Tables

Les Ambassadeurs comment ne pas tomber dans le "Piège"

23 mars 2008

image-6Il y a quelques semaines, j’avais évoqué avec Laurène le souhait de partager ensemble un déjeuner au Crillon. Je vous laisse découvrir son commentaire.


Vendredi 21 mars…cela fait deux semaines que le compte à rebours a commencé, depuis que nous avons retenu notre table…la Haute Gastronomie, cela commence par se préparer dans sa tête, comme un rendez-vous galant, savoir faire naître le désir, savourer l’attente….

Le Crillon
c’est d’abord l‘adresse. Fascinante et impressionnante Place de la Concorde dont l’obélisque, point de centrage de toute l’architecture environnante, fait se répondre la Madeleine et l’Assemblée Nationale, comme si elles se tenaient par la main.

Lorsque l’on passe la porte ou plutôt le tourniquet d’un palace, on a toujours le sentiment si particulier d’être un privilégié, comme si l’on prenait immédiatement de l’importance; Tout le monde vous sourie, tout le monde vous salue…
Dédales de marbres et de lustres scintillants, fragrances légères ou muscs étourdissants, tout, dans ces palaces parisiens, est synonyme d’opulence et de ce chic à la française que le monde entier nous envie.

Le salon  du Crillon ne déroge pas à la règle. Une ambiance feutrée, un personnel discret et attentionné, une clientèle multiple et variée mais tellement « palace »…Du groupe de femmes d’âge mur qui sentent la poudre de riz mêlée au patchouli à  l’acteur branché caché derrière ses lunettes fumées, de la fraîcheur des jeunes mannequins de l’est aux flashes des touristes japonais émerveillés. Tout dans ces lieux vous rappelle que le temps est arrêté, comme suspendu.
Nous nous en faisons la remarque en sirotant chacun une coupe de champagne, Billecart Salmon Rosé et Blanc de Blancs respectivement pour Stéphane et pour moi.
Passage de l’homme en blanc, immense…jeune…léger…(le Piège nouveau)…élégant, une élégance qui transparaît dans sa cuisine…

Le plaisir de se rendre aux Ambassadeurs commence naturellement par la découverte de la carte, avec des prix dignes des plus belles tables parisiennes.
Une carte sobre avec des produits nobles et des énoncés courts et explicites, on sent tout de suite que l’on est pas là pour bluffer le client et l’endormir sous des textes interminables et sans queue ni tête.

Nous nous arrêtons sur le menu affaire à 80 € qui s’annonce prometteur, partant du postulat que qui peut le plus peut le moins.

Au menu, deux variations avec un équilibre parfait viande/poisson sur les entrées et les plats:

Foie Gras de Canard des Landes
En chaud fumet d’un cassoulet contemporain
En froid fumé au goût de cassoulet

Noix de Saint Jacques comme une tarte flambée   cuite/marinée
– – –
Bar de Ligne piqué au Vin jaune/morilles/riz au comté
Ris de veau de lait blanc/brun façon flamiche
– – –
Comme un Vacherin, rose/litchi/fraise des bois
Paquet gâteau

On remarque immédiatement l’influence des régions: tour à tour l’Alsace, le Jura, le Sud Ouest, le Nord…Piège offre là un tour de France des saveurs et rend hommage aux plus « populaires » des spécialités locales.
Le choix s’annonce pour nous évident, pour Stéphane c’est tout viande, pour ma part ce sera tout poisson…

La deuxième agréable surprise est la carte des vins, immense et agréablement commentée par le Maître des lieux David Biraud, qui règne là sur une véritable mine d‘or ! la taille  est édifiante: un accordéon de plus d’un mètre cinquante déplié, qui offre sur son recto les rouges, et sur son verso les blancs, avec des centaines de vins…On appréciera les jolies références de chez nos amis Portugais.
En clair une très belle carte tout court qui propose des appellations et des noms d’exception mais également des vins plus accessibles, plus faciles, et des vins au verre, le Crillon s‘y est mis aussi, et Dieu merci!

Quelques mots sur la salle du restaurant peut-être…Stéphane parle de la Galerie des Glaces, on en est très près: miroirs et lustres rutilants, immenses fenêtres plongeant sur la Concorde, on imagine la dimension que doit revêtir le lieu à la nuit tombée…

Il est 13H30 , la magie opère immédiatement avec la mise en bouche, que dis-je « Le plateau télé » qui fait tant parler de lui . Il fallait quand même oser, même quand on s’appelle Jean-François Piège, commencer les réjouissances du repas par une assiette au contenant et au contenu résolument modernes, dans la salle du restaurant d’un des plus illustres établissements au monde.
Dans l’assiette, deux verrines, un bol, deux portes couverts, un bonbon, un couteau à beurre…mais qu’est-ce donc? On nous indique l’ordre de dégustation, une version liquide et pétillante de betteraves (certainement « piquée » de wasabi) qui vient rafraîchir le palais, un consommé de foies de volaille et émulsion d’écrevisse qui le réveille, un accras de morue liquide qui l’émoustille, un cigare fourré à la crème de taboulé  qui le rafraîchit et enfin un bonbon qui se révèle être un beurre à la truffe qui le comble de bonheur…On y est: l’effet Piège est bien là, le décor est planté! Vivement la suite…

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La suite est un sans faute, doux euphémisme, on en perdrait presque son latin, pardon son Escoffier!

Les plats sont magnifiques, la présentation surréaliste! Osera-t-on toucher tant l’on resterait bien volontiers à contempler, en silence, comme des ascètes…Rassurez-vous on ose! Les Saint jacques sont une pure merveille, 6 dans l’assiette et sagement empilées par deux, elles sont soudées par une soubise d’oignons et coiffées d’un cracker fumé et d’une pointe de crème, toutes les saveurs de la Flammenküche sont là, elles sont également déclinées en version froide « sushis », l’idée est d’alterner entre la version chaude et la froide, et quelle belle idée.
Stéphane a lui aussi une « reconstitution gustative » dans son assiette, version landaise cette fois-ci, un foie cuit dans un bouillon aux légumes croquants dont le fumet évoque instantanément la bonhommie des plats de troisième mi-temps, la version est également assez édifiante.

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Pour la partie « liquide » j’ai opté pour un Montlouis sec 1995 « Remus » du chaleureux Jacky Blot « Domaine de la Taille aux Loups » à 16€ le verre de 18cl, choix encouragé par David Biraud (ouf! Pas d’énorme faute de goût) et Stéphane a laissé libre choix à ce dernier, qui lui fera renouer avec ses origines avec un verre de Riesling en millésime 06, dont nous n‘avons malheureusement pas eu le temps de noter les références.

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La suite ne se fait pas attendre, émerveillement devant le bar de ligne servi presque rosé, sa fine couche de beaufort qui apporte une petite touche sucrée contrecarrée par la belle acidité du vin jaune, et orgasme atteint lors de la première fourchette en bouche de ce fabuleux (il n’y a pas d’autre mot possible) riz au comté, croustillant et fondant, quelle précision! Quelle maîtrise! Les larmes me montent aux yeux, je crois bien que c’est la première fois…

Devant tant de plénitude,  je fais le terrible affront de ne pas goûter le plat de Stéphane, je souhaite inscrire ces saveurs inoubliables dans ma mémoire gustative.
Ce dernier a entre-temps changé de vin, il goûte désormais un Mercurey Blanc Château de Chamirey, La Mission 2005 que je jalouse, d’une belle fraîcheur et à forte prédominance de vanille, caramel crème brûlée au nez, juste sublime!
Temps mort.
Le Salé appelle désormais le Sucré: les réjouissances de douceurs commencent avec un panier circulaire qui s’ouvre sur trois compartiments, des « paille d’Or » comprendre petits feuilletés à la framboise, des macarons à l’ananas, enfin des mini Pims (génoise à la confiture d’orange).

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S’il ne devait y avoir qu’un bémol et un tout petit ce serait celui là: les mignardises…un peu ramollies, notamment le feuilleté des Pailles d’or, et les macarons que je trouve trop sucrés…je commence à redouter les desserts, étant très peu « dessert », et très souvent déçue par ces derniers qui viennent à tord ou à raison mal clôturer des parties salées talentueuses, et qui laissent souvent une impression de fausse note…

Arrivée des desserts, illuminations dans les yeux, MAGNIFIQUE ce vacherin rose litchi emprisonné dans une fragile cage de meringue et nappé devant nos yeux de fraises des bois en sirop…Quel régal pour les yeux et pour le nez, les fraises des bois embaument toute notre table. Un simple effleurement de cuillère et la cage se rond pour délivrer un vacherin léger comme un nuage, aérien, on est en apesanteur…

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Stéphane n’est pas en reste, craquelin chocolat nougatine et mousse de banane et citron vert, boom! Tout explose en bouche!

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Dernier amusement, le bonbon glacé à la menthe qui sort d’une boite intégralement de glace à qui l’on imagine pouvoir prêter des vertus digestives…
Alors que l’on croit que tout est fini, surgit sur la table une boite de chocolat, il y en a bien une trentaine, la Maison est généreuse…
Le charriot des tisanes s’avance gracieusement autour des tables, en fait de tisanes, ce sont des plantes encore en pot que l’on vous présente, et la tisane est préparée sous vos yeux sur un petit réchaud, on pourrait presque penser à de la sorcellerie…

Après une courte hésitation nous optons pour un café que l’on nous aide à choisir en fonction de nos sensibilités, même les cafés sont extras!

Que dire du service? C’est bien celui d’un palace, discret, sympathique, attentif qui anticipe la moindre demande; en clair pas de « chichi » ni de service pompeux.

Que dire de la clientèle? Majoritairement âgée et féminine, nous sommes vendredi midi, à quelques heures du week-end, on dirait que les septas des beaux quartiers s’encanaillent…nous sommes résolument les plus jeunes avec un couple en fond de salle qui semble dresser le même constat.

L’addition…sans surprise…Pour environ 100 € par couvert, on entre dans « la Cour des Grands » et on plonge dans un pur état de grâce.

On dit que la perfection n’existe pas et que si elle existait elle serait ennuyeuse, il ne faut pas tomber dans le PIEGE des stéréotypes, la perfection existe et nous l’avons côtoyée aujourd’hui avec la plus grande des satisfactions.

Merci Monsieur Piège!

Hôtel Crillon – Restaurant les Ambassadeurs
Adresse
10, place de la Concorde
75008 PARIS Tel 01 44 71 15 00
Site internet

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